Saint-Gobain est-il d’abord un groupe industriel à forte empreinte environnementale ou une entreprise de solutions pour la transition écologique ?
Nous sommes le leader mondial de la construction durable, qui représente environ 90 % du chiffre d’affaires de près de 50 milliards d’euros du groupe. Notre raison d’être est “making the world a better home”.
Nous avons entrepris une revue de toutes nos familles de produits qui a montré que 72 %, et bientôt 75 %, de notre chiffre d’affaires a un impact positif pour la durabilité, comprise comme l’environnement, la santé et le bien-être de nos clients auxquels nous fournissons des solutions. Les émissions évitées par nos clients grâce aux solutions vendues en un an représentent plus de 1,3 milliard de teqCO2 pendant leur durée de vie. D’une certaine manière, on peut dire que Saint-Gobain est déjà net-positif pour le climat.
Ceci étant dit, l’empreinte de Saint-Gobain est significative, avec un scope 3 amont trois fois supérieur à nos émissions de scope 1 et 2 qui représentent 10 MteqCO2. Ceci vient notamment des émissions de nos activités de négoce de matériaux du bâtiment qui ont des achats importants, mais également du transport de nos matières premières et de nos produits.
Nous avons pris dès 2019 l’engagement d’être neutre en carbone en 2050 avec des objectifs ambitieux à 2030 couvrant les trois scopes, validés par la SBTi. Cette exigence est un moteur pour notre innovation industrielle. Nous avons en mai dernier réalisé, pendant quelques jours, notre première production zéro carbone de verre plat, avec 100 % de verre recyclé et 100 % d’énergie verte. Nous venons de lancer en France une offre commerciale « verre bas carbone », avec 40 % de réduction de CO2. Nous allons démarrer en 2023 en Norvège une première usine zéro carbone (en scope 1 et 2) pour la production de plaques de plâtre – une usine 100 % électrique, alimentée à 100 % en électricité renouvelable. Nous allons étendre cela sur une autre usine au Québec. Nous faisons des mortiers sans ciment, nous développons des solutions de décarbonation du béton pour les cimentiers… Un des plus grands défis techniques reste de faire fonctionner – sans gaz naturel et dans la durée – une usine de verre plat selon le procédé float.
Un autre virage culturel est de considérer le bâtiment en fin de vie comme un gisement de matériaux : la REP qui démarre en 2023 en France va accélérer la réutilisation des composants et matériaux. La laine de verre que nous produisons contient déjà plus de 55 % de verre recyclé.
Enfin, la conception des bâtiments évolue : le Conseil d’Administration a intégré une architecte, qui est notamment experte en biomimétisme. Nous évoluons vers une construction plus légère, le poids du bâti pourrait diminuer de moitié dans quelques années, avec les mêmes performances et à partir de produits plus facilement recyclables.
Avez-vous adapté la gouvernance du groupe pour réussir cette transition vers la neutralité carbone ?
Oui, de multiples façons, en commençant par former le Conseil d’Administration à ces enjeux, d’abord celui du climat, puis celui de la biodiversité.
Les marchés de la construction étant très culturels et locaux, nous avons en 2019 profondément réorganisé le groupe pour le gérer désormais par pays, chacun ayant, avec ses équipes et ses clients locaux, sa propre feuille de route de décarbonation 2020-2030.
Nous utilisons pour nos décisions un prix interne du carbone depuis 2016, aujourd’hui à 75 €/t pour nos investissements industriels, et 150 € pour la R&D qui mettra des projets sur le marché dans plusieurs années.
Nous avons un comité RSE composé de 10 managers ; il a, parmi d’autres activités, créé un fonds interne du carbone qui recense les initiatives locales et les crédite pour les tonnes évitées avec le prix interne du carbone. Lancé en Scandinavie, il a suscité mille initiatives en un an et est en passe d’être étendu. Dans les rémunérations des cadres, le climat représente 20 % de la part de long terme, et 10 % des bonus annuels attribués.
Le plus important est que nous commençons à percevoir et anticiper les conséquences de la transition sur nos modèles d’affaires : le Capex dédié à la décarbonation est aujourd’hui de 100 M€ par an, par exemple pour électrifier nos usines. Nos outils industriels durant environ 20 ans, pour ne plus émettre en 2050, nos usines de vitrage construites à partir de 2030 doivent être sans émissions, avec donc une transformation très rapide de nos procédés.
La décarbonation du verre plat aura à court terme un impact sur les prix, car les Capex augmenteront un peu, mais surtout parce que l’énergie verte et l’électricité verte sont encore peu disponibles, donc chères. L’atout des émissions évitées doit justifier ce surcoût : en cinq jours, un float de 120 à 150 millions d’euros peut produire 100 000 fenêtres « zéro carbone ». Parce que nos outils industriels servent la décarbonation du parc bâti et les économies d’énergie, ils justifient un prix et un coût de fonctionnement accrus.
Le grand chantier de la rénovation des bâtiments, justement, apparaît urgent et incontournable si la France veut tenir ses engagements de réduction d’émissions. Comment le voyez-vous s’engager ?
Le grand défi est le logement, qui est un sujet systémique et représente près de 40 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Il y a une attente des propriétaires sur le sujet, mais ils sont parfois rebutés par la complexité des opérations plus encore que par le coût.
Celui-ci est bien sûr un frein, car les aides à la rénovation globale restent modestes : 3 500 € en moyenne de prime rénovation (MaPrimeRénov’) pour un chantier de 30 à 40 000 €. Pourtant cela permet d’économiser au moins 70 % sur la facture énergétique. Mieux aider cette rénovation permettrait d’économiser à l’avenir les 30 milliards de chèques énergie de 2022. L’expérience allemande d’extension-rénovation des immeubles pourrait aussi inspirer un moyen de faciliter le financement tout en réduisant l’étalement urbain. Il faut enfin que les bâtiments publics soient exemplaires en termes de rénovation énergétique.
Aujourd’hui les audits énergétiques sont assez fiables pour mobiliser davantage les acteurs financiers. Atteindre les objectifs « Fit for 55 » suppose d’au moins doubler le rythme de décarbonation des bâtiments ; cela créerait 100 000 emplois. L’enjeu est de rendre ce sujet et ces emplois attractifs dans l’opinion : pourrait-on imaginer un « Top Chef de la rénovation » ?