La transition écologique appelle des transformations stratégiques majeures dans les entreprises, et les dirigeants des sociétés cotées ont besoin de s’assurer que leurs actionnaires comprennent ces enjeux, les nouveaux profils de risques, d’investissements et de rentabilité et qu’ils les soutiennent dans la transformation de leurs activités. Symétriquement, les investisseurs ont besoin d’obtenir un certain nombre d’informations et de garanties sur les activités et les plans de transition des sociétés, afin de s’assurer que leurs investissements sont cohérents par rapport à leur propre stratégie de transition et que les risques sont maîtrisés, notamment en prévenant l’apparition d’actifs échoués dans leurs portefeuilles et en identifiant de nouvelles opportunités. Cette nécessité d’intégrer les risques physiques et de transition, les impacts et les opportunités, fait des échanges autour de la transition écologique une composante croissante du dialogue entre entreprises et investisseurs.
Quels sont aujourd’hui les pratiques, les outils disponibles et les questions encore ouvertes sur ce dialogue ?
Les outils de reporting et déclarations extra-financières font historiquement partie de la communication entre investisseurs et émetteurs de dette. Dès 2000 et pour le compte d’investisseurs, le CDP a incité les entreprises à publier émissions, actions et risques climatiques. De volontaires et hétérogènes, ces pratiques se sont progressivement standardisées, notamment sous l’effet des réglementations et des demandes accrues de transparence et de comparabilité de la part des investisseurs et régulateurs. La stabilisation du cadre réglementaire offre l’opportunité de bâtir et partager des métriques, des méthodologies d’analyse ainsi que des outils de pilotage de la transition.
Pour les investisseurs, si des actions individuelles sont possibles – politiques sectorielles, intégration de critères extra-financiers, exclusion –, leur potentiel d’action rencontre des limites lorsqu’il s’agit d’accompagner des changements systémiques. Ainsi, le regroupement dans des coalitions est particulièrement privilégié lorsqu’il s’agit d’encourager des dynamiques de fond. Le Climate Action 100+ (CA100+), lancé au cours du One Planet Summit en 2017, rassemble ainsi plus de 700 investisseurs totalisant plus de 46 000 milliards de dollars d’actifs avec pour ambition d’inciter les grands émetteurs de l’économie mondiale à réduire leurs émissions de GES ; lancée en 2019, l’alliance Net-Zero Asset Owner (NZAO) est une initiative d’investisseurs institutionnels qui s’engagent à faire évoluer leurs portefeuilles d’investissement vers zéro émission nette de GES d’ici à 2050. Côté biodiversité, le Nature Action 100 rassemble 190 investisseurs qui ciblent, par leurs actions d’engagement, 100 entreprises clés au niveau mondial.
Les assemblées générales et roadshows pour investisseurs sont depuis quelques années des moments privilégiés pour communiquer, expliquer et comprendre les stratégies et attentes réciproques, notamment sur les enjeux de durabilité. Si la France s’est distinguée en 2023 en étant le pays où un tiers des Say On Climate a été déposé, certaines entreprises font plutôt le choix de présenter leurs stratégies climat en assemblée générale sans solliciter de vote. La diversité du niveau de détails de la stratégie présentée, de sa soumission ou non à un vote consultatif, ainsi que de la périodicité de cet exercice reste encore forte ; les pratiques diffèrent quant au niveau de prise en compte des enjeux climatiques dans le dialogue actionnarial, qui dépend du secteur d’activité, des émissions de GES, des expositions au risque climatique (physiques et de transition), ainsi que de la zone géographique du siège social de l’entreprise.
Dans un monde marqué par un contexte instable, entreprises et financiers ont tout intérêt à maintenir et poursuivre ce dialogue, continuité et ambition étant essentielles à l’atteinte des objectifs de la transition écologique. La 3e édition du colloque DEFi « Dialogue Entreprise – Finance pour la transition écologique », coorganisé par EpE et l’Institut de la Finance Durable le 18 décembre dernier, a permis d’avancer dans ce sens. Les débats ont notamment fait ressortir la nécessité d’une transition intégrée prenant en compte les limites physiques et biologiques de la planète, la justice sociale et la compétitivité des entreprises. Trois voies de progrès proposées dans l’étude ETE 2030 de 2023 ont aussi été largement débattues : la sobriété, l’économie circulaire et un nouveau lien avec la nature.
Construire, débattre et faire évoluer un récit de la transition partagé entre financeurs et entreprises permet ensuite d’élargir ce débat à l’écosystème des autres acteurs de cette transformation : salariés, pouvoirs publics, territoires, consommateurs, société civile… C’est une étape indispensable que le monde économique, entreprises et financeurs ensemble, peut engager. La publication prochaine des actes de ce colloque y contribuera.
Marie Marchand-Pilard, Responsable Santé-Environnement, Juridique et R&I
David Laurent, Directeur de la Transformation écologique
Source : Lettre EpE n° 75 – janvier 2025